mardi 25 avril 2017

CONTREDIRE



Un spectre hante la société actuelle : celui d’une critique à laquelle elle n’aurait pas pensé. Dans le but de se protéger de cette menace, elle ne cesse de sécréter ses propres contestataires et les pousse en avant : objecteurs de substitution, rebelles de remplacement, succédanés de perturbateurs, ersatz de subversifs, séditieux de synthèse, agitateurs honoraires, émeutiers postiches, vociférateurs de rechange, révoltés semi-officiels, provocateurs modérantistes, leveurs de tabou institutionnels, insurgés du juste milieu, fauteurs de troubles gouvernementaux, émancipateurs subventionnés, frondeurs bien tempérés, énergumènes ministériels. C’est avec ces supplétifs que l’époque qui commence a entrepris de mener la guerre contre la liberté.

D’une façon plus générale, la civilisation qui se développe sous nos yeux ne parvient à une parfaite maîtrise et un contrôle total qu’à condition d’inclure en elle l’ensemble de ce qui paraît la contredire. C’est elle, et elle seule désormais, qui encadre les levées de boucliers et les tollés de protestation. Elle s’est attribué le négatif, qu’elle fabrique en grande série, comme le reste, et dont elle sature le marché, mais c’est afin d’en interdire l’usage en dehors d’elle. L’ « anticonformisme », la « déviance », la « transgression », l’ « exil du dedans » et la « marginalité » ne sont plus depuis belle lurette que des produits domestiqués. Et les pires « mauvaises pensées » sont élevées comme du bétail dans la vaste zone de stabulation bétonnée de la Correction et du Consensus. Ainsi toute pensée véritable se retrouve-t-elle bannie par ses duplicatas.

Philippe MURAY - Après l'histoire

dimanche 23 avril 2017

ROIS CHEVELUS, MODES CAPILLAIRES ET SCALPS MÉROVINGIENS

D'après Jean HOYOUX, les tondus mérovingiens étaient scalpés.
Et il ne manque pas d'arguments pour appuyer sa thèse.



REGES CRINITI
CHEVELURES, TONSURES ET SCALPS CHEZ LES MÉROVINGIENS

Le moyen âge est de toutes les époques de l'histoire celle que nous nous représentons le plus par des idées toutes faites et à l'aide des images de notre enfance. Il nous est difficile de le séparer des châteaux-forts et des donjons pointus. Les rois mérovingiens se présentent à nous avec leur chariot à bœufs et leur longue chevelure, associations qui datent de nos premières lectures et que nous arrivons malaisément à défaire.

Pirenne, le premier, s'est attaché à détruire ces légendes pourtant si populaires ; il a montré combien il était ridicule de donner comme attribut aux rois mérovingiens un chariot à bœufs. Demandons-nous aujourd'hui ce que recouvrent exactement les traditions relatives aux rois chevelus.

mardi 18 avril 2017

EN CE TEMPS, IL ÉTAIT JAURÈS. UN PORTRAIT PAR PÉGUY

Ce n'est pas encore la violence de 1913, quand Péguy écrira dans le Petit Journal "Dès la déclaration de guerre, la première chose que nous ferons sera de fusiller Jaurès. Nous ne laisserons pas derrière nous un traître pour nous poignarder dans le dos".
C'est un portrait à la fois cruel et mélancolique de Jean Jaurès que Charles Péguy donne aux lecteurs des Cahiers de la Quinzaine du 14 novembre 1905.



COURRIER DE RUSSIE

Le courrier que l'on va lire fait, comme tous les courriers des cahiers, dont on a pu lire ci-dessus un énoncé beaucoup trop succinct, un témoignage direct. Comme son titre l'indique, il est et il forme un témoignage direct sur cette précédente reprise de la Révolution en Russie que furent les événements du 22 janvier dernier.

Mon vieux camarade, condisciple et ami et notre collaborateur Etienne Avenard était parti à Saint-Pétersbourg comme correspondant de l’Humanité. Je dois rappeler ici, avant toute considération, cette circonstance, et je ne puis la rappeler sans une certaine mélancolie. La dernière fois que je vis Jaurès, en effet, c'était pendant le mois où justement il préparait la publication de cette même Humanité . Que les temps sont changés! Sitôt que de ce jour... Je ne trahirai aucun secret en rapportant que Jaurès alors venait de loin en loin me voir à l'imprimerie. De Passy à Suresnes, par le bois, la route est belle. Jaurès qui en ce temps-là travaillait beaucoup, beaucoup trop, à ses articles de la Petite République, et surtout à son énorme Histoire socialiste de la Révolution française. Constituante, Législative, Convention, quatre énormes volumes au moins, si j'ai bon souvenir, in quarto, sang-de-bœuf, ne portait pas toujours très bien tant de travail. Qui l'eût porté, à sa place? Il éprouvait le besoin, par excès de travail, lourdeur de tête, afflux sanguin, — il est sanguin, — congestion, aux yeux, — toutes les misères de celui qui lit, qui écrit, et qui corrige des épreuves, il éprouvait le besoin de faire l'après-midi régulièrement une promenade, une marche, un peu solide, à pied. Le Bois est une des beautés monumentales de Paris. Et les routes un peu fermes sont belles sous le pied. De Passy à Suresnes il y a trente-cinq minutes, sans se presser. Jaurès venait de loin en loin me trouver à l'imprimerie. J'y étais presque toujours. Ensemble nous partions par les routes bien courbes et par les droites avenues, soit que je dusse revenir ensuite à l'imprimerie pour y finir ma journée, soit que cette reconduite me fût un chemin de retourner dans Paris.

lundi 17 avril 2017

Une mauvaise rencontre



C'est alors que je vis paraître à son tour, à la tribune, un homme que je n'ai vu que ce jour là, mais dont le souvenir m'a toujours rempli de dégout et d'horreur; il avait des joues hâves et flétries, des lèvres blanches, l'air malade, méchant et immonde, une pâleur sale, l'aspect d'un corps moisi, point de linge visible, une vieille redingote noire collée sur des membres grêles et décharnés; il semblait avoir vécu dans un égout et en sortir; on me dit que c'était Blanqui. (Juin 1848)

Alexis de Tocqueville - Souvenirs

lundi 10 avril 2017

ENGELS - Le rôle du travail dans la transformation du singe en homme


LE RÔLE DU TRAVAIL DANS LA TRANSFORMATION DU SINGE EN HOMME


 
Le travail, disent les économistes, est la source de toute richesse. Il l'est effectivement ...conjointement avec la nature qui lui fournit la matière qu'il transforme en richesse. Mais il est infiniment plus encore. Il est la condition fondamentale première de toute vie humaine, et il l'est à un point tel que, dans un certain sens, il nous faut dire: le travail a créé l'homme lui même.

mercredi 5 avril 2017

Une sinistre rigolade prolétarienne



Quand je pense que les grands chefs bolcheviks prétendaient créer une classe ouvrière libre et qu’aucun d’eux — Trotski sûrement pas, Lénine je ne crois pas non plus — n’avait sans doute mis le pied dans une usine et par suite n’avait la plus faible idée des conditions réelles qui déterminent la servitude ou la liberté des ouvriers, la politique m’apparaît comme une sinistre rigolade.
Simone Weil - Lettre à Albertine Thévenon (vers 1934)

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